lundi 4 juin 2012

L' ENFANCE DE L'ART

Le dessin est à la mine de plomb. Il représente une fillette, vêtue d'une robe en dentelle, qui, à quatre pattes, manie des couleurs et un pinceau. Pour le dire autrement : c'est le dessin d'une enfant... en train de colorier ledit dessin. L'effet de contraste est saisissant, entre les traits fins au crayon noir sur le papier blanc et ses éclats de couleur vive recouvrant le bas de la feuille. La couleur est un éclaboussement, une irruption irrésonnée. Cette vague chromatique pleine de giclures constitue le symbole d'une échapée
belle : le rêve qui habite l'enfance et transfigure le quotidien. Du reste, Virginia Alfonso file volontiers la métaphore. En témoigne cette autre oeuvre, l'Envol, tourbillon graphique où se distinguent deux enfants enlacées prises dans une spirale verte - celle de l'insouciance et de l'imagination. Cette évocation de son enfance et celle de sa fille, Virginia Alfonso l'a conçue avec les outils d'expression propres aux enfants : dessin et crayons de couleurs.

Mais son regard sur le monde enfantin se révèle, à l'examen moins univoque qu'il n y paraît d'abord. Car la couleur peut-être aussi un attribut de la blessure et du malaise. Ainsi en est- il de ces gros plans sur des détails anatomiques, maculés  de taches d'encre rouge, évocation des genoux couronnés et des coudes écorchés de nos jeunes années. tout à côté, le rouge du sang est remplacé par le noir du deuil: des enfants sont agenouillées devant une tombe minuscule, assombrie de lavis d'encre noire. A l'évidence, cette tombe est celle de l'oiseau que les enfants (les mêmes) tiennent dans leurs bras, sur le dessin juste au dessus...
C'est dire qu'il y a de la candeur, mais encore du trouble, dans cette vision de l'enfance. Il en est ainsi de cette grande feuille, sur laquelle Virginia Alfonso a dessiné à la mine graphite deux filletes debout, revêtues de belles robes, et dont l'une tient un missel et l'autre un crucifix, tandis que deux petits oiseaux serrent dans leur bec une bannière sur laquelle est inscrite " la crainte de Dieu".
Cette image-là pourrait autant tenir de l'objet de dévotion (ex-voto, par exemple) que de la scène préliminaire d'un film d'horreur démoniaque.
Derrière l'innocence enfantine, se cache, on le sait bien, une part de cruauté.


                                                                                                               JEAN-LOUIS ROUX

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